Webinaire EDGE : Philanthropie du changement systémique - Où allons-nous maintenant ?

Cette année, la série de webinaires EDGE a commencé par une grande discussion sur ce que devrait être la philanthropie du changement systémique, avec des exemples, des stratégies et des défis. Modéré par Micheal Kourabas, le webinaire s'est déroulé comme une table ronde entre nos grands orateurs, et les participants ont activement participé en posant des questions et des interrogations. Vous trouverez ci-dessous l'enregistrement de la vidéo ainsi qu'un excellent article de blog d'Edouard Morena. 

Accueillie par l'EDGE Funders Alliance et co-organisée par les membres de son 2e Global Engagement Lab (GEL), la conférence "Philanthropie du changement systémique - Où allons-nous ? Philanthropie du changement systémique - Où allons-nous maintenant ? était le premier d'une série d'événements en ligne qui explorent la manière dont les bailleurs de fonds peuvent mieux soutenir les "alternatives systémiques". L'objectif du webinaire sur la philanthropie du changement systémique était de discuter de la signification et du potentiel de la "philanthropie du changement systémique" en s'appuyant sur les idées d'un groupe expérimenté de praticiens et d'observateurs. Que nous apprennent leurs récits sur la "philanthropie du changement systémique", ses principales caractéristiques et les défis à venir ? Comment se compare-t-elle à d'autres formes de philanthropie, telles que la "philanthropie de la justice sociale" ou la "philanthropie progressiste" ?

Ces questions sont d'autant plus pertinentes qu'un grand nombre de fondations se considèrent comme des "bailleurs de fonds systémiques". Elles le font au motif qu'elles s'attaquent aux causes profondes d'un problème social donné. Mais qu'entendent-elles par "causes profondes" ? Et le fait de s'attaquer aux "causes profondes" ne constitue-t-il pas une caractéristique essentielle de la philanthropie, par opposition à la charité ? John D. Rockefeller, l'un des pères fondateurs de la philanthropie moderne, a déclaré un jour que "la meilleure philanthropie est constamment à la recherche de la finalité - la recherche de la cause, une tentative de guérir les maux à leur source". Ce qui distingue la "philanthropie du changement systémique" de la philanthropie "ordinaire", c'est une compréhension particulière de ce que sont ces "sources" et/ou ces "causes profondes". On ne peut guère soupçonner John D. Rockefeller, l'un des "barons voleurs", de vouloir transformer radicalement le système économique et politique, un système qui lui a permis d'accumuler une fortune personnelle colossale. Tout en reconnaissant certaines déficiences du système économique, sa philanthropie cherchait à corriger plutôt qu'à transformer l'existant. Il s'agissait de "sauver le capitalisme de lui-même" plutôt que d'apporter un changement radical et transformateur.

Comme l'a montré le webinaire, la "philanthropie de changement systémique", en revanche, ne se limite pas à isoler un problème social donné des processus sociaux, culturels, économiques et écologiques/naturels qui l'entourent. Tous les participants ont convenu que des problèmes particuliers ne pouvaient être détachés de "crises systémiques" plus profondes ou résolus indépendamment les uns des autres. L'accès aux médicaments vitaux, par exemple, ne sera garanti que si nous comprenons et affrontons le système plus large qui favorise un petit groupe d'entreprises pharmaceutiques surdimensionnées au détriment des citoyens ordinaires. Comme l'a expliqué Azzi Momenghalibaf, de l'Open Society Foundation, "il s'agit fondamentalement de capitalisme". Dans sa présentation, Tobias Troll, directeur d'EDGE en Europe, a soutenu de manière convaincante que tous les problèmes sociaux sont liés entre eux. Le problème des sans-abri, par exemple, peut être lié au racisme, à la migration climatique et, plus fondamentalement, au capitalisme extractif. Comme l'ont souligné les différentes interventions du webinaire, la "philanthropie de changement systémique" peut donc être décrite comme une vision du monde et une pratique radicales qui impliquent des interventions simultanées dans toute une série de domaines, d'espaces et de géographies. En bref, il s'agit en fin de compte de se changer radicalement soi-même, de changer sa fondation et le domaine, et finalement de changer le monde.

Changer le soi
Les différentes interventions du webinaire ont exprimé une conviction commune : pour changer le système, il faut aussi changer le moi. Comment pouvons-nous espérer provoquer un changement ou convaincre les autres de notre engagement réel en faveur d'un changement systémique si nous entretenons, à travers nos activités professionnelles et personnelles quotidiennes, les relations de pouvoir et les injustices mêmes que nous cherchons à éradiquer ? Comme l'a expliqué Tobias Troll, un certain degré d'"auto-analyse critique" est donc nécessaire. Pour changer le moi, nous devons commencer par "nous poser de nombreuses questions difficiles". En tant qu'acteurs philanthropiques, cela signifie, comme le souligne Tobias, que nous devons reconnaître que nous faisons fondamentalement partie du système même que nous cherchons à corriger. Cela signifie qu'il faut être à la fois humble et responsable. Cela signifie qu'il faut prendre les devants et reconnaître que nous sommes, en tant que philanthropes, dans une position de pouvoir (et que, malgré nos meilleures intentions et nos efforts pour favoriser des "relations horizontales" avec nos bénéficiaires, nous serons toujours dans une position dominante).

Changer votre fondation et le domaine
Outre le changement personnel, la "philanthropie de changement systémique" consiste également, comme l'a fait remarquer Michael Kourabas du Unitarian Universalist Service Committee, à "vous pousser [en tant que bailleur de fonds] à être plus systémique dans vos stratégies". Il s'agit de modifier les processus et les pratiques philanthropiques, tant au niveau des fondations individuelles que sur le terrain. Comme l'a expliqué Tobias Troll, il faut pour cela créer des espaces sûrs et courageux permettant aux acteurs philanthropiques d'apprendre les uns des autres, d'expérimenter de nouvelles approches et de les transposer à plus grande échelle. Dans son intervention, Augusta Hagen-Dillon, responsable du programme de recherche chez Propsera, a présenté un compte rendu intéressant de la manière dont les fonds de femmes qui font partie du réseau Prospera ont collectivement cherché à aligner leurs structures, leurs conseils consultatifs, leurs subventions, leur production de connaissances et leur distribution sur un modèle de "philanthropie du changement systémique". Ces efforts ont permis de renforcer la confiance et la compréhension des perspectives de chacun. Ils ont favorisé une vision commune et un meilleur alignement entre les bailleurs de fonds, et produit de nouveaux outils et modèles, tels que l'octroi participatif de subventions.

Azzi Momenghalibaf et Shari Turitz, vice-présidente des programmes à l'American Jewish World Service (AJWS), ont donné un aperçu intéressant de la manière dont ils ont intégré le "changement systémique" dans leurs stratégies de financement. Dans les deux cas, leurs efforts ont consisté à apporter un soutien financier et logistique à des approches à plusieurs niveaux qui combinent l'organisation de la base, la mise en place de campagnes nationales et internationales, et des efforts plus ciblés pour faire évoluer le débat politique. Il s'agit également de relier des luttes spécifiques à des préoccupations plus larges. En décrivant les efforts déployés pour soutenir une campagne anti-charbon au Kenya, Shari Turitz a montré comment, grâce à ses subventions ciblées aux niveaux local, national et international, l'AJWS a contribué à "faire entendre des voix plus marginales et périphériques". Les bénéficiaires de subventions de l'AJWS ont réussi à relier une lutte localisée, centrée sur un problème et une communauté, à un cadre plus large de justice climatique et, ce faisant, ont sensibilisé le public aux racines plus profondes et systémiques du problème. Dans son intervention, Mme Azzi a montré comment sa fondation a remis en question le modèle commercial des "grandes entreprises pharmaceutiques" aux États-Unis en soutenant activement, dans toutes les régions, une série d'universitaires, de groupes de réflexion et d'ONG. En considérant l'accès aux soins de santé comme un droit de l'homme, sa fondation reconnaît les limites des solutions fondées sur le marché et la nécessité de relier les questions de santé à d'autres préoccupations fondées sur les droits (telles que les droits des populations autochtones et leur droit d'utiliser des formes de médecine alternative/traditionnelle - remettant ainsi en question les approches occidentales et biomédicales de la santé).

Changer le monde
La "philanthropie de changement systémique" vise fondamentalement à changer le monde. Il s'agit d'imaginer collectivement un avenir juste et durable pour tous. Comme l'a souligné Tobias, cela implique d'identifier les "crises systémiques" et les "alternatives systémiques", ainsi que leurs interconnexions. Il faut également reconnaître le pouvoir des récits, des politiques et des personnes. En fin de compte, ce sont les gens - et non les élites ou les fondations - qui seront les moteurs du "changement systémique". En imaginant - en partenariat avec nos bénéficiaires et nos réseaux - et en soutenant - avec humilité et respect - de puissants contre-récits, nous contribuerons à la nécessaire vague de fond en faveur d'un changement transformateur.

Par Edouard Morena(University of London Institute of Paris)

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